Une petite histoire des relations franco-allemandes par la chanson
Par DIDIER FRANCFORT : Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine
A donné une conférence le 30 mars 2023 au Château de Flers à Villeneuve d'Ascq, organisée conjointement par l'Association pour l'amitié entre Villeneuve d'Ascq et Leverkusen, la Société historique de Villeneuve d’Ascq avec le soutien d'Erasmus+ dans le cadre du projet « Urban Spaces / Espaces Urbains » et Citoyen d’Europe.
On a souvent considéré que « Göttingen » de Barbara était la chanson qui révélait de nouvelles formes de relations franco-allemandes coïncidant avec le Traité de l'Elysée. Or, les circulations de chansons et les chansons exprimant le regard croisé entre la France et l'Allemagne ont connu une longue histoire commençant dès avant la Première Guerre mondiale et reflétant des fluctuations et des thèmes constants : une germanophobie caricaturale, une vision de la douceur de vivre et de la légèreté française et, de temps en temps, la découverte de tout ce qui peut rapprocher les deux nations. La conférence tentera de suivre ces fluctuations et ces regards croisés, en déconstruisant les stéréotypes.
Didier Francfort a parlé, devant une salle comble, de la chanson et des relations franco-allemandes avec une documentation riche, fouillée, touffue au point d’enivrer son public qui y retrouvait les succès de sa jeunesse mais aussi ceux de la génération précédente.
Les chansons sont le reflet de l’histoire et parfois aussi un acteur de l’histoire.
Le traité de l’Élysée (Deutsch-französischer Freundschaftsvertrag) a 60 ans cette année et une chanson en est tout de suite devenue l’hymne, on a tous en tête « Gottingen » de Barbara, reprise et adaptée en allemand. La réconciliation n’avait pas attendu le traité, le concours de l’Eurovision de la chanson est même antérieur. Jacqueline Boyer le gagne pour la France en 1960, sa chanson est adaptée en allemand et la chanteuse lance sa carrière en Allemagne.
Les années 60-68 représentent l’âge d’or des relations franco-allemandes, les mêmes chansons et les mêmes chanteurs s’entendent des deux côtés, les mêmes succès sont aussi des chansons américaines. Voici des noms connus ou moins connus qui nous surprennent quelques fois (Albert Raisner, Jean-Claude Pascal, Adamo, Dik Rivers, Peter Kraus, Johnny Hallyday, France Gall, Marlene Dietrich - laquelle a chanté en 1962 à l’UNESCO à Paris « Sag mir wo die Blumen sind », Marcel Amont, Françoise Hardy, Gilbert Bécaud et d’autres qui ne sont ni français ni allemand comme Caterina Valente …)
Les chansons sur l’autre existent des 2 côtés depuis la fin du XIXème dans les cafés-concerts. Elles brocardent l’autre à l’instar d’un passage des « Maîtres Chanteurs de Nuremberg ». Ce sont aussi les chansons de la revanche, citons « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » ou encore « Le Légionnaire d’Albret » (avec en filigrane la primauté du droit du sol sur le droit du sang.)
Les années 20 et 30 voient un cycle d’import-export de chansons, d’airs d’opérette, de chansons de film (genre comédie musicale) à un point qu’on oublie l’origine (française ou allemande) comme « L’auberge du cheval blanc », « Il pleut sur la route », « Avoir un bon copain ». Le tango et le jazz sont aussi des vecteurs d’échange et les nazis savent très bien les accommoder à leur façon. Citons ici Anny Ondra et Zarah Leander (reprise en France par Damia,) lesquelles ne sont pas allemandes ! Mais les échanges sont aussi revitalisés par l’arrivée de réfugiés.
Ces échanges continuent pendant les années marquées par le nazisme avec des auteurs ou des artistes qui lui sont favorables, des opposants et d’autres trop soucieux de leur carrière pour prendre parti. Citons pêle-mêle Kurt Weill, Eva Busch, Leo Manosson, Jean Sablon, « Ich küsse ihre Hand Madame », « L’opéra de 4 sous » chanté en français, Tino Rossi, Georgius « Il travaille du pinceau … »
Il n’en demeure pas moins que sortir de la guerre est compliqué mais la meilleure façon de sortir de l’histoire c’est de faire de l’histoire (Bourdieu.) On trouve des chansons comme Marjolaine de Francis Lemarque ou « Né en 17 à Leidenstadt » de Fredericks Goldman Jones par exemple.
Peter Alexander sera un ambassadeur de la chanson allemande en France.
Cependant, en écoutant Eddie Constantine par exemple on remarque que les paroles d’origine des chansons deviennent bien différentes d’une langue à l’autre. Les reprises correspondent à un horizon d’attentes, le côté sympathique de la France, un voyage en nostalgie, laquelle est une arme de reconstruction. La France apparaît comme un conservatoire de la chanson en Europe. Mais la méconnaissance des emprunts est complète. En témoigne la « Gassenhauer » « Am Strande von Rio » (sur la plage de Rio, un aviateur blond …) qui devient « Etoile des neiges », appropriée comme faisant partie du folklore traditionnel savoyard ! (et qui deviendra « For ever and ever ».) L’Allemagne a une image sombre, le mythe de la ville est présent et « Paris s’éveille » devient « Berlin erwacht ». Citons aussi „Ich lieb’ dich nicht du liebst mich nicht“.
Sinon, le mythe du french lover et de la belle allemande persiste et parfois trois mots, deux mots ou un seul dans la langue de l’autre suffisent à créer l’exotisme. (Voulez-vous coucher danser avec moi ce soir ?) Les stéréotypes persistent pour le meilleur et pour le pire « Ich kauf’ mir lieber einen tyroler Hut « ou encore « Ich bin Frieda Umpapa » de notre régionale Annie Cordy qui est d’origine tchèque et qui a transité par les États-unis avant de venir jusqu’à nous (la chanson, pas A. Cordy !)
L’importance de la mondialisation est là, la chanson franco-allemande est aussi l’oeuvre d’artistes d’autres nationalités car nous sommes, maintenant, dans une logique d’égalisation culturelle. »
Notes de Pierre Heroguel